Connu, mais pas nécessairement bien compris, et encore moins bien pratiqué... ?

Publié le par nivelles

Une méditation du Pasteur Luc Flémale  

Eglise Protestante Unie de Belgique à Nivelles

Thème : Ne pas juger.  

Textes bibliques : Matthieu 7 :1-5.

Ne jugez pas afin de ne pas être jugés…

C’est une interdiction bien connue et revendiquée dans notre société: surtout ne pas juger ! Mais ce qui est bien connu n’est pas forcément bien compris et encore moins bien pratiqué. Pour bien comprendre une formule, il faut commencer par éliminer ce qu’elle ne dit pas. Car nous avons parfois tendance à ajouter des considérations absentes pour expliquer le sens d’un verset comme celui-ci.

S’en tenir au texte est suffisant pour en comprendre le sens et ne pas y ajouter ce que Jésus n’a pas dit en prononçant cette parole. Commençons par faire remarquer que ne pas juger n’est pas un absolu, Jésus n’ayant pas dit ne  jugez pas, je vous l’interdit un point c’est tout quelles que soient les situations!

Il a dit ne jugez pas afin de ne pas être jugés… autrement dit, il a donné une raison pour ne pas juger, c’est-à-dire ne pas être jugé de la même manière. Ce n’est donc pas une interdiction absolue à s’imposer mais une sage précaution à retenir si on ne veut pas être jugé en retour.

La raison n’est donc pas d’ordre moral, parce que c’est mal de juger, parce que cela n’est pas évangélique mais d’ordre relationnel, et plus particulièrement pour se préserver d’un jugement qui souvent est blessant, dans le cadre d’une relation.

Il est intéressant de comparer avec le texte de Luc qui ajoute à ne pas juger, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés, comme si juger équivalait à condamner avec ce que cela suppose d’irrémédiable ou d’erreurs de jugement ou de jugement sur l’apparence plutôt que sur des faits avérés.

D’après cette parole, la raison de ne pas juger n’est pas non plus l’humilité ou la tolérance: qui suis-je pour juger autrui ? Même si cela peut être de bonnes raisons pour ne pas juger, elles ne sont pas reprises textuellement dans l’exhortation de Jésus. L’humilité et la tolérance sont des considérations absentes qu’on est tenté d’ajouter pour donner sens alors que le sens donné par Jésus est afin de ne pas être jugés.

Ce qui correspond d’ailleurs bien avec l’idée de tolérance aujourd’hui qui consiste à ne pas juger pour ne pas être jugé. Mais Jésus ne fait pas allusion à ce genre de tolérance qui autorise tous les comportements afin de garder sa propre liberté de penser et d’agir comme on l’entend ou le revendique.

Remarquons encore que la raison ici de ne pas juger n’est pas non plus parce qu’il appartient à Dieu seul de juger mais parce que c’est dans notre intérêt réciproque: si nous ne voulons plus être jugés critiqués, condamnés… commençons par ne plus juger, critiquer, condamner nous-mêmes ! Car nous serons jaugés avec la même mesure que celle utilisée. De même, il n’y a pas non plus d’allusion à un marchandage de la part de Dieu : ne jugez pas et il ne vous jugera pas !

Ne jugez pas afin de ne pas être jugés… n’est donc pas un impératif moral ou spirituel mais un sage conseil si on ne veut pas subir un jugement à son tour. C’est dans la logique évangélique de ne pas faire subir à autrui ce qu’on n’aimerait pas subir soi-même de la part d’un autre. Si je ne supporte pas d’être jugé, je m’abstiens de juger dans le cadre de mes relations.

Et sans doute que respecter ce principe par intérêt personnel voire égocentriquement est une motivation bien plus encourageante qu’une simple motivation morale, parce que c’est mal. Avouons que la meilleure façon de nous faire bouger, réagir, changer d’attitude est la perspective d’un bénéfice personnel ou d’un mieux-être possible.

Ne pas juger seulement dans l’intérêt des autres est une intention louable, altruiste qui demande beaucoup de bonne volonté et de ce fait est plus vite abandonnée parce qu’il n’y a pas d’intérêt personnel motivant pour persévérer.

En prononçant cette parole, Jésus ne voulait-il pas aussi éveiller la conscience d’une propension naturelle à juger ? C’est devenu tellement une habitude de juger, de critiquer que nous ne nous en rendons même plus compte. Un bel exemple de cet aveuglement est de prétendre, après avoir exprimé un jugement : je ne juge pas ou je ne lui jette pas la pierre, je constate ! Mais ce constat n’est-il pas un jugement ?

Propension à juger. Quel est le parent qui n’a jamais jugé son enfant pleurant, en lui disant : arrête ta comédie, tu n’as pas si mal que cela ! Ou qui l’a jugé incapable de réussir ce qu’il envisage de faire tout seul. Quel enfant que nous avons été, qui n’a pas été meurtri par d’aussi injustes jugements ? Ne reproduisons-nous pas ce que nous avons subi?

Nous n’avons pas toujours conscience du lien qui existe entre nos blessures pour cause de mauvais jugement et le jugement blessant que nous infligeons à notre tour à d’autres. N’est-ce pas justement ce lien que Jésus évoque quand il dit ne jugez pas afin de ne pas être jugés ?

Nous portons des séquelles de jugements subis qui influencent nos jugements sur nous-mêmes quand nous finissons par nous voir tels que nous avons été jugés. Un enfant souvent mal jugé peut devenir un adulte qui a toujours peur de mal faire, qui n’a pas confiance en lui, par exemple.

 

Mais des jugements subis peuvent influencer aussi nos jugements sur les autres, sans en avoir conscience, tellement persuadés que nous sommes d’être dans le vrai, que nous faisons preuve de lucidité: c’est un orgueilleux, c’est une menteuse, il ou elle ne changera jamais, etc. C’est peut-être ainsi que nous avons été un jour jugés ?

Mais est-ce de la lucidité de voir la paille dans l’œil de l’autre et de ne pas voir la poutre dans mon œil ? La lucidité à bon escient est non seulement de voir la poutre dans notre œil mais aussi de reconnaître, d’avouer que certains jugements nous ont blessés, plus que nous le pensons ou osons le dire.

Dans sa bienveillance, le Seigneur nous ouvre à cette lucidité en proposant de ne pas juger afin de ne pas être jugés… à cause de tout ce que cela suppose de souffrances autant pour celui qui est jugé que pour celui qui ne peut pas se libérer de cet esprit de jugement qui le rend malheureux quand il prend conscience qu’il en est prisonnier.

Mais comment ne pas juger alors que c’est aussi une faculté intellectuelle qui est innée, sans laquelle nous serions comme des animaux obéissant seulement à nos instincts ? C’est pourquoi, Jésus n’en a pas fait un absolu, interdisant tout jugement mais qu’il a inscrit son exhortation dans une réciprocité relationnelle à éviter ou à écarter: ne jugez pas afin de ne pas être jugés…

Il ne fait donc pas appel à notre bonne volonté pour ne pas juger car elle est le plus souvent inopérante et insuffisante pour juguler une faculté humaine par ailleurs bien souvent utile et nécessaire. Il ne fait pas davantage appel à notre raison car nous avons beau savoir qu’il ne faut pas juger, cela ne suffit pas pour éliminer notre propension à juger.

Jésus ne fait pas non plus référence à la légitimité du respect de notre identité, à nulle autre semblable, pour justifier le non-jugement de ce que nous sommes avec nos différences. Il fonde son exhortation sur le désir que nous avons tous de ne pas être jugés et d’en souffrir: ne jugez pas afin de ne pas être jugés…

Si nous ne savons pas ce qu’être jugés sans appel produit de mal, si nous ne savons pas ce qu’être condamnés sans avoir pu se défendre provoque comme blessure, son exhortation tombe à plat et n’a aucune réalité. Or, elle peut faire écho à une réalité bien enfouie, celle d’une souffrance à cause de jugements inappropriés.

Souffrance que Jésus partageait avec tous les incompris, les rejetés, les mal-aimés de son temps et depuis de tous les temps, étant mal jugé lui-même par ceux qu’il aimait au point d’être prêt à sacrifier sa vie pour que Dieu pardonne leurs péchés d’incrédulité, d’infidélité, d’orgueil et autres offenses.

Ne jugez pas afin de ne pas être jugés…

C’est une exhortation communautaire de nature à préserver les relations. Car si quelqu’un s’autorise à critiquer les autres, il doit s’attendre à être lui-même critiqué par les autres selon un principe d’équivalence : ce qui vaut pour l’un vaut pour l’autre.

Ce n’est pas s’interdire l’esprit critique d’une intelligence renouvelée par l’Esprit Saint pour discerner ce qui est bon, agréable et parfait mais s’interdire l’ambition d’être seul à pouvoir juger. Dieu seul à ce pouvoir et personne ne peut s’en octroyer l’autorisation, s’autoproclamer juge des autres.

Que de relations seraient préservées si nous retenions cette exhortation !

 

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